Une des raisons d’être d’un congrès médical est d’impacter concrètement la pratique de ses participants. On espère légitimement que les nouvelles connaissances transmises par le biais du programme scientifique serviront à court comme à long terme à améliorer la santé des patients. C’est une des préoccupations majeures des sociétés savantes et pour cause, c’est également un vrai challenge de santé publique ! On le sait, un simple transfert de savoirs cognitifs ne conduit pas nécessairement à un changement de sa pratique. Dès lors, comment savoir si un congrès impacte réellement ses participants ? Et si ce n’est pas le cas, comment améliorer sa qualité éducative pour qu’il atteigne ses objectifs et justifie ainsi pleinement son existence ?
Quand les sessions plénières « top-down » ne suffisent plus
Les travaux des sciences de l’éducation et en particulier ceux menés sur les adultes nous donnent de précieuses indications. Une certitude : diffuser l’état de l’art, même basé sur des preuves scientifiques irréprochables, ne suffit plus. Les grandes plénières top-down peuvent certainement présenter des atouts, mais elles doivent être accompagnées de dispositifs ciblés et adaptés aux besoins et aux capacités d’apprentissages des adultes. L’andragogie (qui fait de l’apprenant un co-créateur de l’enseignement) repose sur trois piliers fondamentaux. Les sessions doivent aborder un problème en particulier, de façon contextualisée et dans un esprit d’apprentissage collaboratif.
« Le nouveau paysage audiovisuel et la nouvelle théorie de formation de l’adulte fondée sur des preuves montrent qu’un nouveau paradigme éducatif est nécessaire – un paradigme construit autour de la participation active des apprenants, qui deviennent alors les acteurs de leur propre apprentissage. » (1)
C’est en s’appropriant pleinement et de manière responsable son apprentissage que l’apprenant adulte pourra en retirer le meilleur.
Par ailleurs, selon la taille du congrès et sa portée, d’autres facteurs seront à prendre en compte.
On sait par exemple que la nationalité, l’origine culturelle et les moyens matériels dont disposent les participants peuvent fortement modifier la nature de l’apprentissage. Autre exemple, un médecin n’ayant pas suivi de formation depuis longtemps sera moins enclin à participer et partager son expérience qu’il sait plus ou moins consciemment dépassée par l’état de l’art.
Comment mesurer l’impact de mon congrès sur la pratique professionnelle des participants ?
Si différents modèles d’évaluation existent aujourd’hui, celui qui s’impose pour le domaine médical est le modèle en 4 niveaux de Kirkpatrick(2) qui date de la fin des années 50. Les quatre niveaux qu’il distingue sont les suivants :
- Evaluation de la satisfaction du participant : est-il satisfait du niveau de la formation, de sa délivrance ?
- Evaluation de la connaissance acquise : sait-il comment utiliser ce qu’il a appris ?
- Evaluation de la performance professionnelle : met-il effectivement en œuvre ses nouvelles compétences / connaissances ?
- Evaluation de l’impact sur la santé du patient : quels sont les changements sur la santé des patients directement liés à cet apprentissage ?
Dans les faits…
Ce modèle est complexe à mettre en œuvre dans sa totalité. Nous parlons ici d’un domaine scientifique en constante évolution : des scientifiques travaillent actuellement sur chacun des étages de cette pyramide et sur le moyen de passer d’un étage à l’autre.
Aujourd’hui, la plupart des congrès évaluent le premier niveau - sans le savoir. Les enquêtes de satisfaction au sortir des sessions sont courantes.
L’évaluation du deuxième niveau est quelque chose de moins fréquent, que l’on rencontre dans les sessions qui font partie d’un dispositif de formation continue par exemple. En France, le DPC (Développement Professionnel Continu) impose une évaluation des savoirs avant et après le cursus. L’objectif est double : déterminer s’il y a bel et bien eu augmentation de compétences et pousser l’apprenant à distinguer ce qu’il savait de ce qu’il a appris, l’encourager à porter un regard critique sur ses compétences.
Le troisième étage de la pyramide est le plus compliqué. Comment déterminer si le participant met concrètement en œuvre ses nouveaux savoirs ?
De la théorie à la pratique : 6 ans de recherche entre Europa et un laboratoire de l’université Jean Jaurès
Entre 2013 et 2019 Europa a co-créé RiMEC (Réinventer le Média Congrès), un laboratoire de recherche qui a bénéficié d’un financement de l’Agence Nationale de la Recherche et d’un Contrat Entreprise Région Occitanie. Implanté à l’université Jean Jaurès, il est co-dirigé par Jérôme Sicchi, Directeur du Développement d’Europa Group, et Monique Martinez-Thomas, Professeur des Universités.
Ses travaux ont eu pour but de relier des résultats de recherche académique à la réalité des congrès et notamment à celle de devoir procéder à une évaluation de la manière la plus simple possible.
Après des années de recherche et d’expérimentation sur le terrain(3), l’équipe a été en mesure de produire un questionnaire qui permet d’évaluer au plus près si ce troisième étage est atteint : le participant met-il réellement en œuvre ce qu’il a appris une fois rentré chez lui ?
Chaque critère a été minutieusement étudié : Le professionnel de santé est-il en situation de pouvoir mettre en œuvre ces nouvelles pratiques ? A-t-il le matériel nécessaire à disposition ? Son environnement professionnel sera-t-il favorable au changement ? Les connaissances transmises lors du congrès font-elles suffisamment autorité sur le médecin ? La réputation du congrès est-elle suffisante pour que ses enseignements influencent le professionnel de santé ? Considère-t-il cette nouvelle pratique comme suffisamment éthique ? Se sent-il capable de changer ? etc.
Un autre axe de recherche du laboratoire a consisté à déterminer les meilleurs dispositifs éducatifs susceptibles d’influencer concrètement le médecin et de modifier sa pratique, à partir notamment de l’organisation du congrès lui-même. Un nouveau nom, la « congréturgie(4) » définit ce besoin de changement, avec une attention particulière portée à l’espace, aux participants et au rythme de la conférence. Testées in-vivo, ces innovations sont déployées sur plusieurs des congrès d’Europa depuis des années maintenant et transforment en profondeur la transmission du savoir.
Les travaux du laboratoire continuent, avec notamment en 2020 l’organisation « d’un congrès sur le congrès » pour continuer à inventer le congrès de demain : www.qcvn.fr
Quels dispositifs mettre en place pour augmenter la qualité éducative d’un congrès ?
Parmi toutes les réponses possibles, un élément central apparaît : la nécessité de pousser les participants à exprimer leur pratique pour la confronter à la pratique proposée. Tout doit être mis en œuvre pour les encourager à s’exprimer, pour favoriser l’interaction entre les participants et le conférencier et instituer un rapport de confiance où le participant pourra être entendu sans être jugé.
Voici une liste non-exhaustive de dispositifs que nous mettons au service des congrès que nous organisons :
- Pour chaque session, s’attacher à bien connaître l’audience pour délivrer le bon savoir au bon niveau ;
- Travailler l’ergonomie des contenus diffusés aux participants, afin de leur permettre, une fois la session terminée, de revenir facilement sur les points clefs exprimés ;
- Aider par tous les moyens possibles les participants à échanger leurs points de vue ;
- Développer les sessions de « démonstration », qui sont particulièrement efficaces : « serious games », patients interactifs, etc. ;
- Coacher les conférenciers pour leur apprendre à impliquer l’audience, à être à son écoute, à dérouler une session en fonction de ses besoins et pas de leurs objectifs personnels. Chez Europa, nous appelons cette méthode de stages successifs VITAL. Nous poussons le coaching jusqu’à ce que les conférenciers soient eux-mêmes en mesure d’en former d’autres à la nouvelle méthode ;
- Modifier l’agencement de la salle en créant des espaces permettant de favoriser la proximité entre les intervenants et les participants : les salles sont utilisées horizontalement, sans dépasser 6 rangées de fauteuils. Afin de faciliter l’installation d’un climat de confiance, on supprime la scène. Le conférencier est mobile, il va à la rencontre du participant pour l’encourager avec bienveillance à s’exprimer ;
- Utiliser des outils digitaux et former les conférenciers à leur utilisation afin de renforcer certains messages ou de questionner l’audience en cours de session. Ces outils peuvent permettre à l’audience de construire à la carte et en temps réel le déroulé de la session ;
Conclusion : vers un nouveau standard éducatif ?
Il a donc été scientifiquement démontré que la qualité éducative du programme scientifique et sa capacité à transformer les pratiques sont cruciales. Notre expérience sur le terrain nous a également confirmé à plusieurs reprises que cela fonctionne.
Chez Europa Group, nous pensons que ces nouveaux dispositifs vont légitimement se développer sur la plupart des congrès médicaux. Dans un avenir proche, la satisfaction et l’intention de modification des pratiques pourraient être plus souvent évaluées. En poussant ce raisonnement, elles pourraient même aboutir à un ranking normalisé des congrès, une sorte d’impact factor éducationnel des évènements sur lesquels les participants s’appuieraient pour faire leurs choix.
(1). Marco, J., Spencer, A. & Breheret, M. Critical reflection on postgraduate learning: education through sharing. EuroIntervention J. Eur. Collab. Work. Group Interv. Cardiol. Eur. Soc. Cardiol. 13, 625–630 (2017).
(2). Kirkpatrick, D. L. (1959). Techniques for Evaluation Training Programs. Journal of the American Society of Training Directors, 13, 21-26.
(3). LESTRA Martin, MARCO Jean, PÉRAN Bruno, MARTINEZ Monique, AÏT Ali Cédric : « Let’s foward with evidence-based adult learning. An experiment with a group of early career international cardiologists at EuroPCR 2016 », in Eurointerventions, n°145, décembre 2018, p.1262-1268. DOMPEIX,Clémentine, BREHERET, Magali, SPENCER, Allan et MARCO, Jean : "The concept of participatory learning group developpement", Euro Intervention Journal, 2011, vol.7, n°1, pp. 29-31.
(4). JACINTO, Gilles, MAYER, Camille, DESCOMBE, Benoit, MARTINEZ, Monique et PÉRAN, Bruno : "La congréturgie : penser le congrès comme une scène. L'exemple d'EuroPCR 2016", in MARTINEZ, M. (dir.) : Le théâtre appliqué : enjeux épistémologiques et études de cas, 2017.